Præceptores

Livre VI – épisode 3

Marché romain, matin. Dans une rue animée, Verinus et Venec, chacun près de son étal de citrons respectif, se disputent.
Verinus Non mais je rêve ou y a un peu de foutage de gueule, là ?
Venec Dis donc ? Tu l'as achetée, la rue ? Non ! Hé ben tu me lâches, t'es gentil.
Verinus Non mais attend, il sort d'où, lui ? Ça fait dix ans que je vends dans cette rue, moi !
Venec Hé bah justement, y en a marre ! (Criant.) Place aux jeunes !
Verinus Tout à l'heure quand t'as installé ton merdier je t'ai rien dit, tu l'as vu. Et maintenant, qu'est que monsieur met sur sa planche ? Des citrons !
Venec Qu'est-ce que t'as contre les citrons ? T'es allergique ?
Verinus Non ! C'est aux trous du cul, que je suis allergique ! Les citrons c'est moi qui les vends.
Venec Ah parce que c'est des citrons ? Ah pardon... bah comme ils sont tout petits et puis tout pourraves, je croyais que c'était des pruneaux...
Verinus Bon, allez. Tu vas me foutre le camp, là, parce que je vais appeler la milice.
Venec Bah ! Appelle-la, ta milice... ils vont bien se marrer !
Verinus Hé bah je serais toi, mon pote, je ferais un peu moins le mariole ! Parce que je te garantis que j'ai le bras long. J'ai dix ans de délation derrière moi. Si je les appelle, ils radinent direct !
Venec Ah ouais, et à quoi il te sert, ton bras long ? Tu vends toujours des merdes dans la rue !
Verinus Moi je suis commerçant, moi ! Y a pas de honte, hein ! Mes produits, je les achète honnêtement, moi. (Désignant ses citrons.) Tout ça c'est honnête, et à mon avis, c'est pas le cas de tout le monde...
Venec De quoi ?
Verinus Ouais... t'as très bien compris, va. Avec ta petite tête de contrebandier là, tu vas pas me faire croire quand même que tout ça, là, c'est pas des citrons piqués, ça ? Tu les as trouvés où, tes citrons ?
Venec Dans ton cul !
Verinus Ah ouais ? (Lance un citron sur Venec.)
(Verinus et Venec s'empoignent, la foule tente de les séparer.)
(Ouverture.)
Dortoir de la caserne, matin. Arthur se repose, alors que Caius, Papinius et Falerius s'affairent.
Caius Alors c'est comme ça, quand on est centurion, on glandouille ?
Arthur Non mais j'ai des trucs à faire, mais... c'est plus tard.
Papinius Plus tard ? Pourquoi tu viens pas à l'entraînement, alors ?
Arthur Parce que ça me gonfle ! Honnêtement, vous auriez le moyen d'y couper, vous iriez, vous, peut-être ?
Falerius Bah ouais !
Papinius (En même temps que Falerius.) Non...
(Falerius et Papinius échangent un regard.)
Caius Et c'est quoi, tes « trucs à faire » ?
Arthur Bah... je sais pas, ils m'ont pas dit.
Caius (Taquin.) Oh l'autre hé, il est en mission secrète...
Arthur Non mais c'est vrai ! J'ai un rendez-vous, mais... je sais pas ce que c'est.
Falerius Ils vont peut-être te faire faire un sale truc...
Papinius Il paraît que c'est souvent ça, pour les trucs dangereux, ils prennent un jeune gradé et hop ! Ils l'envoient au casse-pipe !
Arthur Pff... arrêtez vos conneries...
Caius Bon alors du coup, tu restes au plumard, quoi.
Arthur Bof... ouais.
La Dame du Lac (Apparaît.)
Arthur (Sursaute.)
Caius Bah qu'est-ce qui t'arrive, t'es malade ?
La Dame du Lac Vous avez un petit moment, cette fois ?
Arthur (À Caius.) Euh... non, ça va. Faut que... faut que j'aille prier. (Fait un signe à la Dame du Lac, puis se lève.)
La Dame du Lac (Disparaît.)
Caius (À Papinius et Falerius.) Il va prier maintenant ?
Arthur (S'assied face à un autel à Mars, dans un coin du dortoir.)
La Dame du Lac (Apparaît.) C'est Mars, que vous priez ?
Arthur (À voix basse.) Sans rire... pourquoi est-ce que vous attendez pas que je sois tout seul, pour venir ?
La Dame du Lac Bah... j'essaie, mais j'ai souvent des contretemps.
Arthur C'est vous qui vous occupiez de moi quand j'étais petit, c'est ça ?
La Dame du Lac Oui, enfin... entre autres...
Arthur Et pourquoi est-ce que vous revenez, maintenant ? Pourquoi est-ce qu'on me reparle de la Bretagne, tout d'un coup ?
La Dame du Lac Parce que c'est le moment, c'est comme ça.
Arthur Je vous préviens, je me souviens de presque rien.
La Dame du Lac Pourquoi vous croyez que je suis là ? J'en ai, des choses à vous dire...
Arthur Oui mais le truc c'est que j'ai pas le temps, moi, il faut que je me tire !
La Dame du Lac Bah quand, alors ?
Arthur Je sais pas, moi... ce soir.
La Dame du Lac Oh, ce soir vous aurez encore quelque chose à faire...
Arthur Hé bah ce soir, tard, quand j'aurai fini mes trucs à faire...
La Dame du Lac Il faut qu'on parle vite ! Sinon vous comprendrez jamais ce qui vous arrive !
Arthur Ouais mais je suis d'accord, mais moi je suis centurion dans l'armée romaine ! Alors quand on me donne des ordres, je dois les suivre, c'est tout.
La Dame du Lac (Amusée.) Centurion dans l'armée romaine...
Arthur Hé ben, quoi ?
La Dame du Lac C'est comme les prières à Mars... dans pas longtemps, ce sera loin derrière vous, tout ça...
Arthur (Fait signe à la Dame du Lac de partir.)
La Dame du Lac (Disparaît.)
Quartiers riches, matin. Arthur, en costume de centurion, rejoint Servius et Merlin sur une place publique.
Merlin Hou là là ! Oh ben non, je l'aurais pas reconnu.
Servius Et pourtant c'est lui. Regarde, Arturus ! Le voilà ton barbu !
Arthur Merlin ?
Merlin Tout juste ! Ah quand même, se souvenir de mon nom presque vingt ans après... ça me fait quelque chose.
Arthur Comment ça se fait que vous êtes là ?
Servius L'intelligence romaine, mon petit pote ! Tu dis « Merlin », on te le retrouve aussi sec. Même au fin fond du trou de balle du monde !
Merlin Vous voulez dire que la Bretagne c'est le fin fond du trou de balle du monde ?
Servius Oui. Alors le programme : Arturus tu vas faire visiter la ville à ton ami, qui en profitera pour te parler de ton pays natal !
Arthur Quoi ?
Merlin « Arturus », c'est comme ça que vous l'appelez ?
Servius C'est pas comme ça qu'il s'appelle ?
Merlin Non, il s'appelle « Arthur » !
Servius « Arthur » ?
Arthur « Arthur » ?
Servius C'est quoi comme nom, ça ?
Merlin C'est le nom que sa mère lui a donné.
Arthur Ma... mère ?
Merlin Oui ! Arthur « Pendragon »... le nom de son père.
Arthur Mon père ?
Servius Bon, vous avez sûrement des millions de choses à vous dire hein, prenez votre temps... (À Merlin.) Je vous demande deux secondes, faut que je dise un mot au gamin.
Merlin Faites.
Servius (S'approche d'Arthur et l'entraîne à part.)
Arthur Euh... ouais, vous êtes sûr qu'il faut que je fasse le guide touristique, là ?
Servius Oui, et puis il faut que tu te grouilles, parce qu'à midi, t'as rendez-vous villa Aconia.
Arthur Villa quoi ?
Servius Non, fais pas comme si tu te souvenais pas... c'est là où t'as fracassé la tête de Glaucia...
Arthur Ah. Euh... non mais je savais pas que ça s'appelait villa, euh... Aconia, pourquoi est-ce qu'il faut que je retourne là-bas ?
Servius Tu... tu verras. Alors seulement tu fais bien attention, hein. Tu te pointes pas chez les bourgeois n'importe comment. Tu te laves, tu mets des fringues civiles propres, et t'arrive à l'heure, vu ?
Arthur Non mais... je comprends pas...
Servius Non mais... on te demande pas de comprendre ! (Désignant Merlin.) Tu balades la barbichette, là, en attendant... et surtout, t'essaies de piger la situation en Bretagne. Allez. (Part.)
Merlin Je vous le dis, ce qui m'intéresserait, c'est de visiter des vestiges tyrrhéniens et de boire un coup.
Tente de Macrinus, jour. Macrinus est à son bureau et consulte une carte.
Cordius (Entre.)
Macrinus Ah ! Alors ?
Cordius Oui, les troupes de Carmélide sont bien en mouvement. Seulement, euh...
Macrinus Seulement quoi ?
Cordius Apparemment... ils ont pas de chef.
Macrinus Pas de chef. Et ils font quoi ? Ils attendent ?
Cordius Bah non, ils attendent pas, puisqu'ils sont en mouvement. Enfin, « en mouvement »... bon, après, tout dépend ce qu'on appelle « en mouvement », hein. Là ils marchent, quoi.
Macrinus Sans chef ?
Cordius Euh... oui, sans chef, oui oui...
Macrinus Mais euh... ils marchent plutôt vers nous ? Parce que sinon, à la limite, on s'en fout un peu, non ?
Cordius Oui, mais... vous savez ce que c'est, quoi... les espions, ils espionnent, et puis après ils vous foutent un rapport... « Oui... les troupes de Carmélide sont en mouvement et ils ont pas de chef. » Qu'est-ce qu'on fait avec ça ?
Macrinus (Perdant patience.) Mais ça ressemble à une attaque, ou pas ?
Cordius Mais ça ressemble pas à grand-chose, hein. C'est pour ça que, les... les espions sont déstabilisés, à mon avis.
Macrinus Bon, merci... merci, Cordius.
Cordius Euh... sinon, je...
Macrinus (Agacé.) Non non, c'est bon...
Cordius D'accord. (Sort.)
Salle à manger de Léodagan, jour. Guenièvre, Séli, Léodagan, Calogrenant et Goustan sont à table et mangent. Une carte est posée vers Goustan.
Loth (Arrive.) Ah oui, donc en fait, euh... vous êtes en train de bouffer !
Goustan Bah et alors ?
Séli (En même temps que Goustan.) Et alors ?
Loth Non, mais... autant pour moi, on m'a demandé de venir pour aider à commander une bataille, mais si vous préférez que je beurre les tartines...
Léodagan On commandera la bataille quand on aura fini de becter ! Commencez pas à nous emmerder...
Calogrenant Vous êtes en avance, c'est quand même pas de notre faute...
Goustan Y a pas autre chose que des fèves, comme accompagnement ?
Guenièvre (À Goustan.) Ah, attention, vous faites tomber de la graisse, là...
Léodagan (À Goustan.) Oh ben non, une tache sur la carte de la zone !
Goustan C'est vous la tache, c'est un lac, ça...
Léodagan Un lac ? Ah non y a pas de lac, là. Là c'est du gras de bidochebidoche (n.f.) Viande
En savoir plus
que vous venez de faire tomber, là.
Goustan C'est vous le gras de bidochebidoche (n.f.) Viande
En savoir plus
.
Calogrenant (À Goustan.) Euh... les lacs on se casse le tronc à les faire en bleu, je vous signale. Alors venez pas nous enfumer, hein ?
Loth Bon ! Je... rentre chez moi ? Euh... qu'est-ce que je fais ?
Léodagan Non ! Vous vous ouvrez vos étagères, parce que là, j'expose le plan.
Loth En mangeant.
Léodagan Merde. Hein, voilà. Donc, notre ami commun Ketchatar, roi d'Irlande, commande une armée...
Calogrenant Moitié gars à lui, moitié gars à moi.
Léodagan Voilà... bon, quelques hommes à moi, aussi...
Calogrenant Bof... ouais...
Léodagan Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit « quelques gars à moi », j'ai pas dit « beaucoup » !
Calogrenant Hé bah encore heureux... vous m'avez péniblement refilé trois boiteux qui traînaient...
Goustan Ketchatar, c'est pas votre ami commun...
Léodagan De quoi ?
Goustan Vous avez dit : « notre ami commun, Ketchatar ». C'est pas vrai ! Il est peut-être commun, mais c'est pas votre ami !
Léodagan Non mais évidemment, que c'est pas notre ami... c'est pour ça qu'on l'envoie au casse-pipe sans trop se faire de cheveux... hein ? (Agite son index vers sa tempe.)
Goustan (Reste bouche bée, comprenant.)
Guenièvre (Pète.) Oh ! Pardon... qu'est-ce que ça ballonne, les fèves...
Séli Bah vous êtes pas obligée d'en bouffer trois marmites, non plus !
Léodagan Oh ! Bon ! Donc on va diriger Ketchatar à coups de pigeons voyageurs, sans bouger nos miches de là.
Loth Et on l'envoie toujours sur les Romains ?
Léodagan Affirmatif. Droit dessus.
(Un homme entre et donne un petit billet à Loth.)
Léodagan Ah ! Des nouvelles ?
Loth Oui... (Lit.) Ketchatar est pas arrivé.
Calogrenant Pas arrivé ? Mais... pas arrivé où ?
Loth Bah, si votre pigeon vient du champ de bataille, il est pas arrivé... sur le champ de bataille.
Léodagan Non mais qu'est-ce qu'il glande ? Il devrait être là depuis au moins trois heures !
Loth (S'asseyant à côté de Séli.) Bon bah du coup, euh... c'est gentil de proposer, je prendrai volontiers une assiette de fèves avec une tranchette de viande pour... faire passer.
Léodagan (Fait passer une assiette à Loth, en râlant.) Oh...
Quartiers riches, jour. Merlin se tient au milieu d'une rangée de colonnes peintes. Arthur l'attend dans la rue en contrebas.
Merlin Rendez-vous compte... de la magnificence de ces colonnades. L'imposant ne le dispute-t-il pas à la majesté ?
Arthur Non, mais non !
Merlin Non ?
Arthur Non mais vous pouvez pas rester une demi-heure sur chaque baraque !
Merlin Quoi ? J'ai raison ou pas ? Tous les jours vous marchez ici sans vous rendre compte de la magnificence de ces colonnades, il faut pas exagérer !
Arthur Non mais là d'accord, mais tout à l'heure vous avez dit la même chose à propos d'une boutique de saucisses !
Merlin Hé bah c'était peut-être une boutique de saucisses, n'empêche que l'imposant le disputait à la majesté, voilà.
Arthur Et la Bretagne ?
(Deux soldats passent et saluent Arthur d'un « ave ».)
Arthur (Aux soldats.) Ave, ouais. (À Merlin.) Quand est-ce que vous comptez m'en parler, de la Bretagne ?
Merlin On a le temps, la Bretagne... on y retournera bien assez tôt ! Moi ce que je veux c'est visiter.
Arthur Bon ! Hé ben... visitez tout ce que vous voulez, moi j'ai des ordres, il faut que je vous laisse.
Merlin Quoi, maintenant ?
Arthur Parfaitement ! Ave ! (Part.)
Merlin Bah d'accord ! J'ai pas besoin de vous ! Je peux très bien m'organiser mon petit périple, figurez-vous, vite fait bien fait ! Et si l'imposant le dispute à la majesté, il faudra pas venir chougnerOn voit Alexandre Astier partir vers la gauche et s'arrêter trop tôt de marcher. !
Marché romain, matin. Verinus est tenu par deux soldats, alors que d'autres saisissent son étal de citrons. Venec observe la scène.
Venec Hé ben alors ? Il est où, le bras long ? Qu'est-ce que t'attends pour les faire jouer, tes relations, mon pote ?
Verinus Je vois que Monsieur a des copains dans les forces de l'ordre !
Venec T'occupe. J'ai mes arrangements avec la milice. Tu peux pas comprendre.
Verinus Ouais ? Bah moi aussi j'ai mes arrangements avec la milice. Et je serai sorti aussi vite que je serai rentré. Et à ce moment-là je m'occuperai méchamment de tes fesses !
Venec Hé dis donc, tu prends pas tes citrons, mec ? Ils vont pas te manquer ?
Verinus Je reviens dans une heure, mon con. Et il vaudrait mieux que t'aies pris des vacances.
Venec Ouais, bah en attendant, c'est toi qui les prends. Allez hop ! Emballé c'est pesé !
(Les soldats emportent Verinus et son étal.)
Verinus (Traîné par les soldats.) Dans une heure ! Je reviens !
Venec (Se retourne vers sa clientèle.) Bon !
Devant la villa Aconia, jour. Arthur arrive, son casque sous le bras.
Arthur (Ajuste sa tenue, puis entre.)
Villa Aconia, jour. Arthur pénètre dans l'atrium désert.
Arthur (Se promène dans l'atrium en regardant autour de lui.)
Drusilla (Arrive.) Ah ! Vous êtes en retard.
Arthur Oui, je suis... désolé.
Drusilla Mais, euh... on vous a demandé de venir en uniforme ?
Arthur Non, c'est... non. C'est-à-dire que... voilà, j'ai été un peu pris de court... si j'étais rentré à la caserne pour me changer, je serais encore plus en retard.
Drusilla Madame aussi est en retard... vous avez de la chance.
Arthur « Madame » ? C'est-à-dire que c'est pas... c'est... c'est pas vous...
Drusilla Attendez ici. Je vais la chercher. (Part.)
Villa Aconia, jour. Arthur patiente longtemps dans l'atrium.
Arthur (S'assoit sur un divan, s'appuie contre une table, se tient près de la porte, frôle de la pointe de son pied l'eau de l'impluvium, s'assoit sur une chaise curule, observe le plafond, fait les cent pas, puis s'assoit à nouveau sur un divan.)
Villa Aconia, jour. Arthur est assis sur un divan.
Aconia (Arrive.)
Arthur (Se lève.)
Aconia (Dévisage Arthur.) Voilà le petit protégé.
Arthur Mes hommages.
Aconia T'es habillé en soldat.
Arthur Oui. Parce que... voilà. Comme j'expliquais à votre servante, en fait j'ai pas eu le temps de... repasser à la caserne, et euh... voilà, quoi, c'est... pour ça.
Aconia T'as faim ?
Arthur Pardon ?
Aconia Est-ce que tu as faim ?
Arthur « Faim » ! Oui pardon, j'avais compris, euh... euh oui, bah moi c'est-à-dire, j'ai... j'ai toujours plus ou moins faim !
Aconia Drusilla va te servir à manger. Pour le reste, tu reviendras demain.
Arthur Mais... pardon, hein... parce que moi on m'a demandé de venir là, mais... on m'a pas expliqué pourquoi.
Aconia On commencera par un peu d'algèbre, puis un peu de Socrate. Mais demain. Aujourd'hui tu manges. (Part.)
Arthur (Fronce les sourcils, perplexe.)
Tente des hommes de Macrinus, jour. La pluie tombe. Cordius et les autres hommes de Macrinus sont à l'abri, un feu est allumé.
Macrinus (Arrive, emmitouflé dans une couverture.) Bon !
Cordius Ah ! Bah justement... on était en train de faire un petit point, là.
Macrinus Ouais bah... t'es gentil, tu feras tes petits points une autre fois. Ils en sont où, les espions ?
Cordius (Désignant certains des hommes.) Hé bah c'est eux, là ! Ils sont revenus !
Macrinus Quoi ? Mais c'est pas vrai ! (Furieux.) Je t'avais dit que quand ils rentraient, il fallait m'apporter le rapport tout de suite !
Cordius Non mais... justement, on parle de ça, là. Parce que... le rapport, je... je le trouve pas jojo.
Macrinus Bah t'as pas à le trouver jojo ou pas jojo, le rapport. T'as pas le droit de le lire, pour commencer !
Cordius Non, parce que... là, les Vandales s'approchent des troupes bretonnes. Et par derrière.
Macrinus Par derrière, euh...
Cordius Par l'ouest.
Macrinus Mais ils viennent pas par l'ouest, les Vandales !
Cordius Hé bah voilà ! C'est pour ça que je le trouve pas jojo, moi, ce rapport.
Macrinus Par l'ouest ?
Cordius Ouais.
Macrinus (Part.)
Salle à manger de Léodagan, jour. Léodagan lit un message, entouré de Loth et Calogrenant. Guenièvre et Séli sont assises à table. Une carte est posée vers Guenièvre.
Léodagan Mais qu'est-ce qu'ils viennent nous faire chier, les Vandales ? Et d'où ils sortent, d'abord ?
Calogrenant C'est vrai qu'ils passent pas souvent, ceux là...
Loth Une fois de temps en temps.
Léodagan De temps en temps, et ils choisissent aujourd'hui ! Ils viennent m'attaquer moi, par derrière, alors que je fonce tranquillement sur les Romains !
Calogrenant Vous foncez, vous foncez... je vous rappelle que y a pratiquement pas d'hommes à vous, hein.
Guenièvre (Dessine sur la carte avec du gras de viande.)
Séli Mais qu'est-ce que vous foutez, vous ?
Guenièvre Ben quoi ? Je dessine nos hommes !
Séli Ah non mais ça va pas mieux !
Léodagan Elle dessine sur la carte, celle-là !
Séli Et avec du gras de viande, encore !
Guenièvre Ben oui, vous avez pas dit qu'ils étaient là ? On se fait une meilleure idée quand on les voit, non ?
Calogrenant Mais ils vont pas rester tout le temps là, ils vont bouger !
Guenièvre Ah bon ?
Goustan Oui enfin si les Vandales leur collent une peignée, ils vont peut-être pas bouger beaucoup...
Léodagan (À Loth.) Bon, il est toujours pas là, Ketchatar ?
Loth Vous me demandez ça, c'est vous qui avez le message dans la main ! Vous savez lire comme moi, y a rien qui dit qu'il soit arrivé...
Léodagan (Jette le message, dépité.)
Goustan Alors, si j'ai bien compris... nos troupes vont subir une attaque de Vandales par l'arrière, et une autre attaque par devant par les Romains. Parce qu'il faut surtout pas les oublier, ceux-là ! Sauf... que y a pas de Ketchatar pour diriger nos gars.
Guenièvre (Enjouée.) Ah ! Bah du coup je peux bien les dessiner là, puisque c'est là qu'ils vont mourir !
Appartement de Licinia, soir. Licinia et Manilius font la lessive, Julia les regarde faire.
(On frappe à la porte.)
Arthur C'est Arturus. (Entre, tenant un paquet, et constate qu'on lui réserve un accueil plutôt froid.) Ouais... c'est peut-être pas moi que vous attendiez, si ?
Julia Ah non, mais c'est parce que Verinus doit apporter à manger !
Licinia Et qu'on n'a plus de nouvelles de lui.
Manilius On peut vraiment compter sur personne.
Arthur Ouais. (Brandit son paquet.) Hé bah j'en amène, moi, de la bouffe.
Manilius T'as encore tapé dans la réserve ?
Arthur Non, même pas.
Julia (Fouillant dans le paquet.) Oh, regardez, y a de la viande avec des poivrons !
Licinia De la viande ?
Julia (Mangeant du pain.) Mmh... et le pain il est même pas sec !
Licinia Mais à qui t'a piqué ça ?
Arthur Je l'ai même pas piqué.
Manilius Ça vient d'où ?
Arthur Qu'est-ce ça peut foutre, d'où ça vient ? Mangez...
Manilius Tu veux pas le dire ?
Arthur Non mais ça va ! Prenez ce que je vous donne et c'est marre ! Déjà que vous dites pas « merci »...
Julia En tout cas moi je suis contente, hein !
Arthur En plus je comprends pas, c'est Mani qui doit pas bouger d'ici ! Vous, les gonzesses, vous pouvez pas sortir, pour trouver de la bouffe ?
Licinia Non. J'ai la trouille.
Julia Bah moi aussi !
Licinia Déjà y a plus un rond, hein... en plus nous aussi on nous a vues à la fête ! Si quelqu'un nous reconnaissait et nous suivait jusqu'ici ?
Julia Trop risqué !
Arthur Bah la bouffe, elle vient de la villa Aconia.
Manilius T'es retourné là-bas ?
Arthur (Acquiesce.) Mmh. On m'y a envoyé pour que je voie la rombière, on m'a servi à bouffer... et je vous en ai ramené, voilà.
Manilius Merci.
Licinia Merci.
Julia Merci.
Arthur (Agacé.) Oui, oh... ça va ! Ça va, ça va.
Bureau de Glaucia, nuit. Verinus est agenouillé devant Glaucia et Procyon, le visage en sang.
Verinus Ouais non mais moi j'ai dit « Manilius »... j'ai dit « Manilius » comme j'aurais pu dire autre chose !
Procyon Ouais mais t'as pas dit autre chose ! T'as dit « Manilius » !
Verinus Parce que vous m'avez demandé où j'habitais à l'aide de claques dans le museau ! Alors moi comme j'habite nulle part, parce que je me... me considère comme un papillon... je vous ai parlé d'une fille chez qui j'allais souvent, et qui est la copine d'un soldat à vous !
Procyon Manilius !
Verinus Oui, Manilius, mais... c'est sorti comme ça, quoi ! C'est... c'est sûrement pas le mec que vous cherchez. Je sais même pas d'ailleurs s'il s'appelle Manilius, voilà.
Procyon Des soldats à nous qui s'appellent Manilius, y en a pas cinquante !
Glaucia Tu sais ce que c'est, un homme en colère ?
Verinus Bah, vu que je me mange des tartes depuis ce midi, oui je commence à me faire une bonne idée, là, ouais...
Procyon Je lui en colle une ?
Glaucia Attends deux secondes.
Verinus Oui... deux secondes...
Glaucia Je suis en colère parce que je me suis pris un coup sur la gueule !
Verinus Mmh... ouais non mais ça, jusque-là je comprends tout à fait.
Glaucia Et quand j'ai retrouvé celui qui me l'a fait, on m'a interdit de le punir !
Procyon Et même, on lui a donné une promotion !
Glaucia Ouais !
Verinus Ah non mais d'accord, ah non attendez, là... là c'est le coup dur, là ! Ah mais ça je savais pas, moi, les mecs... j'étais pas au courant, là ! Ah là je suis à deux doigts d'aller en référer à qui de droit, là ! Et croyez moi, si j'y vais ça va faire du bruit, hein !
Glaucia Et le pain dans ta gueule, il va faire du bruit ?
Procyon Puisqu'on n'a pas le droit de toucher à Arturus, donne-nous au moins l'autre !
Verinus Quel autre ?
Glaucia Celui qui se cache ! Manilius !
Verinus Mais je ne sais pas qui est cette personne !
Caius (Entre, portant un bol de nourriture.)
Glaucia Qu'est-ce que c'est ?
Caius La collation...
Glaucia Mais barre-toi...
Caius (Part avec le bol.)
Glaucia Non mais... pose ça là et barre-toi !
Caius Ah ouais. (Se dirige vers le bureau.)
Verinus (Désignant Caius.) Tss...
Procyon Si tu dis pas où est Manilius... je vais être obligé de te coller des mandales jusqu'à demain matin ! Alors fais un effort !
Verinus Ah oui, demain matin, quand même, euh... est-ce qu'il y aurait pas là, à ce moment-là, un petit risque de décès ?
Glaucia (À bout de nerfs.) Où se planque Manilius ?
Verinus (Hausse les épaules.)
Procyon (Flanque une gifle à Verinus.)
Verinus Bon bon bon bon bon bon bon. On va se calmer. Je vais vous le dire, où il est, votre Manilius. Vous avez de la chance, hein ! Vous avez de la chance que je supporte pas qu'on porte préjudice à l'intégrité physique de ma personne.
Glaucia (À Caius.) Tu vas foutre le camp toi ?
Caius (Part.)
Couloir de la caserne, nuit. Caius émerge du bureau de Glaucia et aperçoit Falerius.
Caius (À voix basse.) Hé, Falerius, Falerius ! Y a l'autre con, là, le petit marchand, qui s'apprête à balancer la planque de Mani !
Falerius (À voix basse.) Tu rigoles ?
Caius Non ! Faut aller le prévenir !
Falerius Prévenir qui ? Mani ? Mais nous on sait pas où il se planque, Mani ! Faut que tu rentres pour écouter !
Caius Ah non non, moi je retourne pas là-dedans, je me suis fait jeter une fois, c'est bon, là...
Falerius Alors faut prévenir Arturus ! Y a que lui qui sait où il est !
Caius Tu l'as vu, toi, Arturus ?
Falerius Non, je sais même pas s'il est rentré ! (Part en courant.)
Dortoir de la caserne, nuit. Falerius et Papinius entrent.
Papinius Arturus ?
Falerius Arturus ! (À Papinius.) Il est vide, ton dortoir...
Papinius Et pourtant je suis pas fou, je l'ai vu rentrer !
Falerius Bah t'as pas dû le voir ressortir !
Papinius Qu'est-ce qu'on fait ? On a cherché de partout...
Falerius J'en sais rien...
(Falerius et Papinius sortent.)
Mess des officiers, nuit. Arthur est assis, les yeux fermés.
La Dame du Lac (Apparaît, immense, le haut de son corps occupant une bonne partie de la pièce.)
Arthur (Sursaute.) Ah ! C'est vous ?
La Dame du Lac Bah... oui, bien sûr c'est moi...
Arthur Et comment ça se fait que vous apparaissez, euh... comme ça ?
La Dame du Lac En grand, vous voulez dire ? Oh, oui, ça dépend, des fois je viens comme ça... ça vous embête ?
Arthur Bah... c'est particulier, quand même !
La Dame du Lac Oui, la prochaine fois je viendrai à votre taille, vous serez plus à l'aise.
Arthur (À voix basse.) Bon, il faut pas qu'on parle trop fort, parce que normalement j'ai pas le droit d'être là.
La Dame du Lac Bah euh... moi je parle comme je veux, y a que vous qui m'entendez !
Arthur Ah bah oui. Bon, bah... je vous écoute. Il s'agit de quoi ?
La Dame du Lac De la Bretagne. Qu'est-ce que vous savez de la Bretagne ?
Arthur Rien.
La Dame du Lac Mais... rien... rien ?
Arthur Rien rien.
La Dame du Lac (Déçue.) Ah oui... bon, bah alors on va commencer du début : ce que vous appelez Britannia, vous... c'est la grande île et ce qu'il y a autour, d'accord ? Bon. Moi, quand je vous parle de la Bretagne, je vous parle du royaume de Logres, c'est-à-dire Britannia, et le pays de Galles, et l'Irlande, la Calédonie, euh... la Carmélide et les îles autour, et... le royaume continental, l'Armorique et l'Aquitaine. D'accord ?
Arthur (Perplexe.) D'accord... oui... enfin, je vous promets pas de retenir tout ça d'un coup, mais...
La Dame du Lac Hé bien il faudrait quand même trouver un moyen, parce que... c'est votre futur royaume. Ce serait bien que vous sachiez ce qui est à vous.
Arthur Ouais. Bah je me le noterai quelque part. Ensuite ?
La Dame du Lac Ensuite, votre père... ah, euh... il est mort, en fait, hein... vous faites pas de fausses joies...
Arthur Euh... non, j'avais pas d'espoir particulier...
La Dame du Lac Votre père, Uther Pendragon, c'est le dernier roi que Logres ait connu.
Arthur Comment ça, je comprends pas, mais... parce que là y a plus de roi ?
La Dame du Lac Non.
Arthur Bah et nous... contre quel chef on se bat, alors ?
La Dame du Lac Qui ça, vous ?
Arthur Comment qui ça nous, nous les Romains !
La Dame du Lac Ah oui, oui alors, euh... ça aussi, va falloir laisser tomber, parce que... vous êtes pas romain.
Arthur (Soupire.) Oui, non mais pardon, excusez-moi c'est pas encore un réflexe, hein. Alors, qui c'est le chef, là-bas ?
La Dame du Lac Bah... en ce moment, euh... c'est plutôt le roi de Carmélide, mais enfin ça tourne, hein, c'est un peu à celui qui gueule le plus fort. Les clans sont en guerre permanente.
Arthur En guerre... entre eux, ou contre nous ? Contre les Romains ?
La Dame du Lac Entre eux et contre les Romains... les deux.
Arthur Ah oui, ça doit pas être facile.
La Dame du Lac Pas vraiment. Non, la situation est un petit peu dans une impasse, je ne vous le cacherai pas.
Arthur Mmh. Mais euh... y en aurait pas un qui pourrait, je sais pas... coordonner un peu tout ça ?
La Dame du Lac Pourquoi est-ce que vous croyez que les dieux m'ont envoyée vous chercher ?
Salle à manger de Léodagan, nuit. Léodagan, Loth, Goustan, Calogrenant, Guenièvre et Séli sont à table. Ketchatar vient d'arriver.
Léodagan Mais qu'est-ce que vous foutez là, vous ?
Ketchatar Comment, qu'est-ce que je fous là ? Vous m'avez dit de venir, je suis là ! Bon, je suis en retard, mais euh... j'ai des raisons valables !
Séli (À Léodagan.) Mais vous lui avez dit de venir ici ?
Léodagan Mais sûrement pas ! Je vous ai dit à la sixième marque du mur d'Hadrien !
Ketchatar Ah non ! Vous m'avez jamais dit ça !
Calogrenant On vous avait dit de venir avec vos troupes !
Ketchatar Bah elles sont là, mes troupes !
Séli Mais où ça, là ?
Ketchatar Ah bah... dehors, hein... c'est sûr que je vais pas rentrer avec !
Léodagan Vos troupes sont dehors, là ?
Ketchatar Ben oui !
Goustan Ça veut dire qu'au mur d'Hadrien, en ce moment, y a deux fois moins d'hommes que prévu ?
Loth Ah oui. Là on est quand même sur un niveau de connerie remarquable.
Ketchatar Alors qu'est-ce qu'on fait ?
Léodagan Mais qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? Gros marteau !
Calogrenant Si je comprends bien, là bas, en ce moment y a que mes hommes ? Pris en tenaille entre les Romains et les Vandales ?
Ketchatar En tout cas les miens, ils sont tous là, hein ! Hé hé ! Et ça fait du monde ! C'est pour ça que je suis en retard, d'ailleurs, parce que guider tous ces mecs sur des longs trajets, c'est pas une partie de rigolade ! D'ailleurs, euh... vous auriez de quoi les faire bouffer ?
Séli Quoi ?
Guenièvre Il reste des fèves, euh...
Ketchatar Des fèves pour mille deux cents ?
Guenièvre Ah bah non, là... non...
Ketchatar Bah ça fait rien. Ils mangeront demain.
Calogrenant Ouais. Moi les miens c'est en ce moment, qu'ils mangent. Des coups de massue par-derrière et des coups de pilum par-devant.
Mess des officiers, matin. Arthur, emmitouflé dans une couverture, discute toujours avec la Dame du Lac.
Arthur Et si j'y arrive pas, à retirer le machin ?
La Dame du Lac Quoi, Excalibur ? Bah non, normalement, euh... il devrait pas y avoir de problème...
Arthur Ouais, mais si quand même j'y arrive pas ?
La Dame du Lac Oh bah euh... là, je sais pas quoi vous dire...
Arthur Bon, mettons. Mettons, je retire bidule.
La Dame du Lac Excalibur.
Arthur Excalibur, ouais. Je suis roi de Logres... et les chefs de clans, ils vont venir vers moi, ils vont faire ce que je leur dis... comme ça ?
La Dame du Lac Si vous avez Excalibur, normalement, euh... ça devrait suffire à leur imposer votre autorité !
Arthur Hé ben... j'ai pas intérêt de me vautrer, avec ce truc...
La Dame du Lac Ah bah non, vaudrait mieux pas ! Enfin y a pas de raison...
Arthur Et c'est les chefs qu'il faut que je prenne avec moi pour gouverner, c'est ça ?
La Dame du Lac Bah oui.
Arthur « Bah oui »... « bah oui » je sais pas, vous me dites qu'ils sont cons comme des meubles et puis qu'ils passent leur temps à se taper dessus ! Pourquoi est-ce que je pourrais pas choisir d'autres mecs ?
La Dame du Lac Ah bah vous pouvez ! Vous faites ce que vous voulez ! Enfin moi, à votre place, euh... je prendrais quand même les chefs... parce que si vous me les vexez, vous allez pas fédérer grand chose ! À quoi vous pensez ?
Arthur Non, il faudrait trouver un moyen, pour que... pour faire une place à ceux qui sont motivés... à ceux qui ont du courage, même si c'est des bouseux... faudrait trouver un moyen, pour que... pour que tout le monde ait une chance de prouver sa valeur... si c'est pour que le pouvoir, ce soit les mêmes magouilles qu'ici, ça sert à rien ! Là-bas vous me dites : « Y a une épée dans un rocher, et tout le monde a le droit d'essayer de la retirer. » Bon bah voilà ! C'est de ça, dont il faut s'inspirer. Faut que tout le monde... ait le droit d'essayer.
Quartiers riches, matin. Arthur est assis sur les marches d'un palais.
Arthur (Se lève et traverse le forum, pensif.)
Bureau de Glaucia, matin. À l'aide de citrons qu'il a placés sur le bureau de Glaucia, Verinus tente d'expliquer à Procyon où se cache Manilius.
Verinus Non mais attendez, vous faites exprès ou quoi ? Je vous dis : « Vous arrivez dans le ghetto par le sud... » !
Procyon (Perdu.) Ouais mais le sud par rapport à quoi ? Parce que selon comment on se tourne, le sud, ça change tout !Référence à cette réplique de Perceval.
Verinus Vous savez que c'est déjà pas simple d'un point de vue « culpabilité personnelle » de donner des informations sur une personne... alors si en plus vous vous arrivez derrière, vous comprenez pas les indications...
Procyon Mais arrête de me faire chier avec tes « nord » et tes « sud », alors !
Verinus Bon, vous voyez le grand lavoir bleu, là, dans le ghetto, au croisement ?
Procyon Non.
Glaucia (Entre.) Habille-toi propre, et colle celui-là aux geôles ! On a rendez-vous dans deux heures au palais !
Procyon Au palais ?
Verinus Bah pourquoi aux geôles ? Pourquoi aux geôles ? Je suis en train de coopérer comme une petite salope !
Glaucia Aux geôles. Le temps qu'on aille arrêter Manilius. Des fois qu'il te vienne à l'idée d'aller le prévenir avant qu'on arrive...
Procyon Oui enfin, avant qu'on arrive, euh... faudrait déjà que je pige où c'est, hein, parce que... les explications, euh... (Soupire.)
Verinus Oui, non, attends attends... tu vas te pousser un petit peu, déjà, toi. (À Glaucia.) Est-ce qu'on peut me trouver un mec un peu plus d'équerre pour les explications, justement, parce que là ça va durer une semaine, l'histoire, là.
Procyon (Flanque une claque à Verinus qui en perd son chapeau.)
Bureau de Sallustius, matin. Sallustius et Servius reçoivent la visite de Glaucia et Procyon.
Sallustius Ah ! Entre...
Glaucia (Terrorisé.) Ave Lucius Sillius Sallustius... ave Publius Servius Capito. C'est... c'est un honneur, de...
Procyon Qu'est-ce que je fais moi, je... j'attends dehors ?
Glaucia C'est ça, oui.
Servius Non, tu restes, Procyon. Ça te concerne aussi.
Sallustius Il paraît que... t'as réussi à loger celui qui t'a... tabassé ?
Glaucia Non... non, celui qui m'a tabassé, c'est... Arturus, euh... mais j'ai... j'ai logé l'autre...
Procyon Ouais, il se planque chez sa copine. Dans le ghetto.
Servius On s'en fout, ça.
Glaucia (À Procyon.) On s'en fout...
Procyon Oui. On s'en fout.
Sallustius Et je suppose que l'autre, là, tu vas... l'arrêter, le mettre à mort, enfin... ce qui s'ensuit...
Glaucia Bah... c'est un peu le programme, oui...
Sallustius Alors je vais être très clair. L'autre, là... comment il s'appelle, déjà ?
Glaucia Appius Manilius.
Sallustius Appius Manilius. Tu peux en faire ce que tu veux, hein, ça me regarde pas. En revanche... si t'avais dans l'idée de te venger d'Arturus...
Procyon On peut pas ! Il est centurion !
Glaucia Tu vas finir par la fermer, ta gueule, oui ?
Servius On sait, qu'il est centurion. Mais peut-être que la nuit, pendant tes insomnies, bah... tu te grattes la tête pour trouver un moyen de le faire payer, quand même.
Sallustius Vexé comme tu dois être...
Glaucia Je... je vais pas vous mentir, c'est... c'est vrai que je l'ai mauvaise.
Sallustius Interdit.
Glaucia Interdit ?
Servius Rigoureusement interdit.
Sallustius Interdit !
Servius Tu toucheras pas à un cheveu de sa tête, c'est compris ?
Procyon Forcément, il est centurion !
Glaucia Chut !
Sallustius Caesar a de grands projets pour lui, si t'essaies de te venger... tu feras du tort à Caesar...
Servius C'est compris ?
Glaucia Bah, euh...
Servius Très bien. Barre-toi.
(Glaucia et Procyon partent.)
Taverne romaine, jour. Arthur et Merlin boivent un verre à une terrasse, dans une ruelle.
Merlin Exactement. Je suis druide.
Arthur Druide, euh... comme un druide gaulois quoi.
Merlin Ben non, comme les druides bretons ! On va dire que le druide breton va être plus à l'aise avec son environnement... faune, flore... éléments naturels... alors que le druide gaulois, si vous voulez... vous allez être sur du druide qui sera plus versé dans la potionRéférence à Astérix.. Enfin... il sera pas versé dans la potion, ce que je veux dire, euh...
Arthur Oui oui non, mais d'accord. Très bien. Mais alors... vous êtes magicien ou pas ?
Merlin Bah tout dépend de ce que vous entendez par « magicien »... je pourrais vous faire une pluie de pierres, si vous voulez. Mais un sort de sommeil, par exemple, je saurais pas.
Arthur D'ac... une pluie de pierres ?
Merlin Euh oui... ou la foudre, euh... tout ça c'est bien ma branche.
Arthur Là, par exemple, vous... vous pourriez faire tomber la foudre ?
Merlin Euh... honnêtement, là c'est grand bleu... et puis ça a pas l'air de vouloir se couvrir...
Arthur D'accord. Ouais. Je comprends pas très bien. Euh... vous pouvez faire tomber la foudre, mais il faut qu'il y ait déjà de l'orage ?
Merlin « Il faut », « il faut »... je vais pas vous mentir, ça aide.
Arthur D'accord. Et... les dragons ?
Merlin Quoi les dragons ?
Arthur Ben je sais pas, les dragons, il paraît que chez vous ça... ça existe encore...
Merlin Bien sûr que ça existe ! Pourquoi, vous en avez pas, ici ?
Arthur Des dragons ? Non.
Merlin Et qu'est-ce que vous avez, comme bêtes bizarres ?
Arthur Euh... comme bêtes bizarres, je sais pas, le... les serpents...
Merlin Ah ouais, les serpents géants ? C'est mauvais, ça...
Arthur Géants ? Ah non non, pas... non non pas géants, c'est des serpents, c'est des machins comme ça, quoi... (Écarte ses mains d'une longueur de serpent.)
Merlin Ah ouais, non... nous, on a un serpent aquatique, qui vit dans le Lac de l'Ombre, euh... il fait deux fois la rue... à une vache prèsà une vache près (loc.) À peu près, environ.
En savoir plus
...
Taverne romaine, jour. Arthur et Merlin sont assis à une terrasse lorsque Procyon arrive, accompagné de Papinius et Falerius, et menant Manilius, torse nu et enchaîné.
Arthur (Se lève, sidéré.)Les plans précédents semblent appartenir à la même scène, mais le script officiel opère un découpage.
Procyon Tiens. Ave, Centurion. Regardez la bonne pêche de ce matin. Comme quoi... quand on a un bon informateur...
Manilius (À Arthur.) Qui c'est qui a glairé ?
Procyon Ta gueule.
Manilius Faut le trouver.
Procyon Ta gueule !
Falerius On sait, nous, qui c'est qui a glairé !
Procyon Ta gueule aussi, toi...
Papinius C'est Verinus !
Procyon Mais vos gueules, par Junon ! Ou je vous fais tous coffrer pour insubordination ! Première fois que j'arrive à le dire sans me gourer ! Et toi, Arturus... t'as de la chance d’être pistonné. Parce que le pain dans la glotte... t'inquiète pas... je trouverai bien un moyen de te le faire payer. Allez, ave... centurion...
(Procyon, Manilius, Papinius et Falerius partent.)
Taverne romaine, jour. Arthur et Merlin regardent partir Procyon, Manilius, Falerius et Papinius.
Arthur (S'assied.)Les plans précédents semblent appartenir à la même scène, mais le script officiel opère un découpage.
Merlin C'est des collègues à vous ?
Arthur Celui du milieu, surtout.
Merlin Ah... qu'est-ce qu'il a fait ?
Arthur (L'esprit ailleurs.) Bon, il faut... il faut que je vous laisse, là.
Merlin « Là », où ça ?
Arthur Là ici, parce que j'ai un ordre, il faut que... il faut absolument que j'y aille maintenant, en plus je devais me changer avant, j'ai même pas le temps...
Merlin (Outré.) Qu'est-ce que je fais, moi ?
Arthur Mais vous m'attendez là ! Hein, j'en ai pour quoi, une heure, ou deux... peut-être trois...
Merlin Mais qu'est-ce que je vais foutre ici pendant trois heures, moi ?
Arthur J'en sais rien, vous pouvez aller vous promener, et puis vous revenez dans un moment !
Merlin Ah... bon...
Arthur Tenez, je vous laisse un peu de blé... (Pose quelques pièces sur la table.) Je reviens dès que je peux. (Part.)
Tente de Macrinus, jour. Macrinus est à son bureau et mange une pomme. Cordius se tient devant lui.
Macrinus Mais comment ça « dans l'autre sens » ? Quel autre sens ?
Cordius Ils viennent plus vers nous ! Ils sont partis dans l'autre sens... parce que y avait les Vandales, qui... poussaient au cul, alors ils ont préféré se retourner contre eux !
Macrinus Donc nous, euh... on compte pour quoi, là-dedans ?
Cordius Vous aussi, hein... ça vous le fait...
Macrinus (Agacé.) Ça me fait quoi ?
Cordius C'est vexant, un peu, non ? Ah, sous prétexte que les Vandales les attaquent, euh... pfft ! Nous on n'existe plus !
Macrinus Fout le camp, Cordius.
Cordius Ah bah... en fait, c'est vrai, ils s'occupent de nous quand ils ont le temps !
Macrinus (Criant.) Fous le camp !
Cordius (Sort.)
Salle à manger de Léodagan, jour. Léodagan, Loth, Calogrenant, Goustan, Guenièvre, Séli et Ketchatar sont réunis.
Léodagan Pourquoi je vous aurais demandé de venir combattre les Romains en Carmélide ? Y a pas de Romains en Carmélide !
Ketchatar Bah j'en sais rien, moi ! Vous me dites de me pointer, je me pointe ! Je réfléchis pas à ce point-là !
Léodagan « À ce point-là » ?
Séli Oh ! Mais vous allez arrêter de gueuler cinq minutes, oui ?
Guenièvre En plus, si j'ai à peu près suivi, vous avez perdu. Bon, bah si vous avez perdu, c'est bon... c'est plus la peine de crier, hein...
(Un homme entre et donne un petit billet à Calogrenant.)
Calogrenant Tiens ! Des nouvelles !
Léodagan Hé bah gardez-les !
Calogrenant (Lit.) Les hommes demandent si ils peuvent revenir. Les Romains sont rentrés dans leur camp, et les Vandales ont renoncé à attaquer... ils se sont engueulés avec leur nouvel éclaireur. Galessin.
Séli Leur nouvel éclaireur qui ?
Calogrenant Galessin.
Goustan Galessin... Galessin c'est pas le connard qui lui sert de bras droit, à celui-là ? (Désigne Loth.)
Loth Si...
Goustan Et là, il est éclaireur pour les Vandales qui nous attaquent ?
Calogrenant Ben... d'après le message, on dirait...
Ketchatar C'est pour ça qu'ils arrivaient par l'ouest, ces cons de Vandales ! Ils sont menés par un Orcanien ! (Ricane.)
Léodagan (À Loth.) Dites, euh... vous auriez pas essayé de me la faire à la pute, par hasard ?
Loth C'est-à-dire ?
Léodagan C'est-à-dire conduire les Vandales par l'ouest, pour me prendre en traître pendant que je suis occupé avec les Romains à l'est.
Loth Écoutez. Comme ça, à priori, euh... ça m'évoque rien, mais... honnêtement... c'est possible. Ce serait assez le genre de la maison, en tout cas. D'un autre côté, voyez un peu l'ironie : si j'avais pas fomenté une attaque par l'ouest, vous seriez allé vous écraser contre les Romains à l'est ! Oui, alors... pourquoi ? Pourquoi trahir sans arrêt les gens avec qui je collabore ? Je dirais... que c'est probablement une réponse... compulsive... à une crainte de m'attacher. Briser une relation, plutôt que la cultiver, pour ne pas se retrouver démuni face au bonheur. Oui, pour répondre à votre question : j'ai peur d'aimer.
Léodagan (Part, puis revient avec un marteau de guerre.) Bon, alors moi, euh... je veux bien passer l'éponge sur vos tentatives de putsch, vos combines véreuses, vos alliances bidon et tout le reste. En revanche, si vous la fermez pas tout de suite, mais alors... définitivement, hein... je vous aplatis les boules... avec ça. (Brandit le marteau.)
Loth (Acquiesce en silence.)
Villa Aconia, jour. Arthur se tient dans l'atrium, son casque sous le bras. Drusilla se tient face à lui.
Drusilla Vous êtes encore en retard.
Arthur Ben... je suis désolé.
Drusilla Vous êtes encore en uniforme.
Arthur (Soupire.) Bah... oui...
Drusilla Oui oui, je connais le coupletcouplet (n.m.) Propos répétés continuellement
En savoir plus
. Si vous étiez passé par la caserne pour vous changer, vous auriez été encore plus en retard, c'est ça ?
Arthur Bah oui.
Aconia (Arrive.) Tout nu !
Arthur Quoi ?
Aconia Tout nu dans le bassin avec des huiles. Quand on représente Rome, on se tient propre. Trois bains par semaine, c'est un minimum.
Arthur Oui non mais attendez, je suis pas venu là pour me laver, quoi...
Aconia Et t'es venu ici pour quoi ?
Arthur Mais j'en sais rien ! Parce qu'on me dit rien, je sais même pas ce que je viens faire !
Aconia Tu viens prendre des leçons ! Et ta leçon du jour, la voilà : quand on représente Rome, on se tient propre.
Drusilla On se tient propre.
Aconia (À Drusilla.) Tu lui laveras ses affaires et lui donneras quelque chose à se mettre sur le dos. (Part.)
Arthur (À Aconia.) Ah, mais non... ah bah non, c'est-à-dire que je peux pas du tout vous laisser mon uniforme, quoi... hé !
Drusilla Tout nu.
Arthur (Soupire et commence à défaire son armure.)
Prison, jour. Manilius est emprisonné et se tient contre la grille, qui donne sur la rue. Glaucia est venu le narguer.
Glaucia Si je me démerde bien... alors je te promets rien, attention, hein... je devrais pouvoir t'obtenir les lions !
Manilius Les lions ?
Glaucia Ouais ! Si je chougne bien, si je montre bien ma blessure, là... je suis sûr que j'arrive à te faire bouffer ! Qu'est-ce que t'en pense ?
(Licinia et Julia arrivent.)
Glaucia Tiens ! Voilà les morues !
Licinia Faut peut-être qu'on repasse ?
Manilius Non, restez.
Glaucia Mais ouais ! Restez ! Vous verrez, c'est drôlement sympa ! (Désignant Julia.) Celle-là... c'est pas la copine à l'autre, là ?
Julia Quel autre ?
Glaucia Bah... celui qui devrait être là, à la place de celui là !
Julia Bah il devrait peut-être y être, n'empêche qu'il y est pas.
Glaucia Je sais bien, oui... hé la vie c'est pas toujours carré, hein ? Bon, allez, je vous laisse entre clodos ! Et t'inquiète pas, va... je m'occupe de notre histoire de lions ! Ave ! (Part, non sans avoir frôlé Julia d'une façon lubrique.)
Licinia Quelle histoire de lions ?
Manilius Pourquoi il est pas venu, Arturus ?
Julia Bah, il a des trucs à faire...
Licinia Il a honte de venir, ouais !
Manilius Non mais... honte de venir... maintenant qu'on a dit que c'était injuste et dégueulasse... il peut bien venir, non ? Je suis quand même son pote !
Licinia (Caresse la main de Manilius.)
Mess des officiers, jour. Procyon mange, Glaucia est assis à côté de lui.
Procyon Vous mangez pas ?
Glaucia Non. L'injustice, ça me coupe l'appétit...
Procyon Moi pas.
Glaucia Un jour, ce fumier de Sallustius... il se fera prendre la main dans le sac, avec ses petites combines ! Un jour il se retrouvera au milieu du cirque, avec les... les lions aux miches ! Et ce jour-là, moi je serai au premier rang.
Procyon Ouais mais en attendant il y est pas. C'est plutôt le petit protégé de Caesar !
Glaucia Je sais bien, andouille... mais la roue tourne ! La roue tourne toujours !
Procyon Faudrait un petit coup de pouce des dieux. Ça vaudrait peut-être le coup de faire une offrande, non ? Il paraît que quand on enterre des couilles de mouton sous une statue de Vulcain, on peut demander...
Glaucia Et avec les tiennes, tu crois que ça ferait l'affaire ?
Procyon Moi je dis ça... Sallustius, s'il arrive à arrêter la guerre en Bretagne, il risque pas de se retrouver aux lions ! Ça va plutôt devenir un héros !
Glaucia Et si je l'arrêtais, moi, la guerre en Bretagne ? Bah, après tout je suis pas plus con que Sallustius !
Procyon (Fait une moue dubitative.)
Glaucia Quoi ?
Procyon Bah... pour les magouilles... il a l'air plutôt doué hein ! Et puis, euh... pendant que vous commandez la milice urbaine... qui entre nous est quand même la plus pourrie de toutes... lui, il dirige presque l'Empire !
Glaucia Tu veux mon pied au cul ?
Procyon N'empêche que c'est vrai.
Glaucia Pour arrêter la guerre en Bretagne, faut du pognon, c'est tout. N'importe quel chef peut s'acheter.
Procyon Bah sauf que du pognon, vous en avez pas !
Glaucia Le pognon ça se trouve ! Il suffit de... connaître les bonnes personnes.
Procyon Parce que vous connaissez des personnes qui ont du pognon, vous ?
Glaucia Parfaitement.
Procyon Ah bon. Bah oui, je suis con ! Vous connaissez Sallustius ! Mais... vous croyez qu'il vous prêtera ?
Glaucia La ferme, débile ! (Réfléchit, puis pense soudain à quelque chose.) Tu vas envoyer un message au chef breton, tu m'entends ? Au roi de Carmélide. Tu vas l'inviter ici. Moi, le temps qu'il arrive, j'aurai réuni une belle somme. Et une fois que j'aurai romanisé ce péquenaud, là... et que toutes nos légions seront de retour à Rome... Caesar me fera demander. Et il me nommera sénateur ! Et alors là, Sallustius... je pourrai lui pisser sur les pompes, il pourra rien dire ! Allez !
Procyon Quoi, maintenant ? J'ai pas fini de bouffer...
Glaucia Allez !
Procyon (Part.)
Glaucia (Sourit, satisfait.)
Taverne romaine, jour. Arthur, vêtu désormais d'une tunique immaculée, revient s'asseoir à l'endroit où il avait laissé Merlin.
Merlin (Criant à la cantonade, ivre et portant un pichet.) Quand je dis... que Rome est à la cité ce que la chèvre est au fromage de chèvre, je veux dire que c'est le petit plus... qui est corollaire au noyau, mais qui est pas directement dans le cœur du fruit ! (Apercevant Arthur.) Tiens ! Le fils Pendragon ! Ça biche, votre altesse ? (Brandit son pichet.) Allez hop ! On va se dépêcher de rentrer ça avant qu'il pleuve. (S'assoit devant Arthur.)
Arthur Mais qu'est-ce que vous avez foutu ?
Merlin Quand vous êtes parti, je me suis dit « Je vais me promener, je vais me pas promener ? » Finalement j'ai décidé de me beurrer la gueule. (Saisit le pichet et un verre.) Allez, allez hop, je vous en sers un petit.
Arthur (Prend le pichet des mains de Merlin.) Laissez-moi ça tranquille et écoutez-moi.
Merlin Ah attention ! Avec le cagnardcagnard (n.m.) Soleil
En savoir plus
qu'il y a, si vous vous désaltérez pas régulièrement...
Arthur (Empoigne Merlin et lui enfonce la tête dans une fontaine.) Vous allez dessoûler tout seul ou je vous fous la tronche là-dedans ?
Merlin Non non non, c'est bon, c'est bon !
Arthur (Lâche Merlin.) Écoutez-moi bien. Vous allez rentrer en Bretagne.
Merlin Quand ?
Arthur Maintenant. Non mais me coupez pas avec des « quand », des « si », des « mi », fermez-la.
Merlin Bon ben ça va...
Arthur Vous allez rentrer en Bretagne. Vous allez colporter un message de ma part. Vous allez expliquer à tout le monde, les riches, les pauvres, les jeunes, les vieux, que le fils de Pendragon est de retour, et qu'il s'apprête à récupérer l'épée truc.
Merlin Excalibur.
Arthur Voilà. Vous allez expliquer aux gens que je les encourage à se distinguer par un fait d'armes de leur choix. Une victoire, sur l'un ou l'autre péril... l'accomplissement d'une quête, propre à les anoblir... et vous leur laissez entendre que les meilleurs d'entre eux seront choisis pour gouverner à mes cotés.
Merlin Faut que je fasse toute l'île ?
Arthur Euh... non, tout le royaume de Logres.
Merlin Quoi ?
Arthur Bah oui, avec euh... bah, les petites îles, l'Armorique, l'Aquitaine, enfin tous ceux qui étaient sous le joug de mon père, quoi.
Merlin Sous le ?
Arthur Sous le joug.
Merlin Le ?
Arthur Le joug !
Merlin « Le joug »... comme du joug de fruit ?
Arthur Non. Comme du joug-joug.
Merlin Ah bon.
Arthur Vous vous souviendrez de tout ?
Merlin Ouais en fait, ce que vous voulez, c'est... dénicher les meilleurs éléments ?
Arthur Bah... oui, je vais pas gouverner avec des bras cassés !
Chambre de Léodagan en Carmélide, nuit. Léodagan et Séli sont au lit, Léodagan lit un parchemin.
Séli Bon bah ça va aller, maintenant, non ? Pour une bataille aussi pourrie, vous allez pas recevoir des nouvelles jusqu'à demain !
Léodagan Non mais vous voyez bien que ça vient pas du champ de bataille...
Séli Mais qu'est-ce que c'est, encore, comme nouvel emmerdement ?
Léodagan On est invités à Rome.
Séli De quoi ?
Léodagan Comme je vous dis ! À Rome.
Séli Mais par qui ?
Léodagan Par eux.
Séli Mais qui c'est, « eux » ?
Léodagan Par les Romains !
Séli Mais lesquels, de Romains ?
Léodagan Mais est-ce que je sais, moi ? C'est tous les mêmes, de toute façon !
Séli Bah qu'est-ce qu'ils nous veulent ?
Léodagan Bah nous faire une offre, apparemment.
Séli Moi aussi, je suis invitée ?
Léodagan Bah oui. Bon. Ils ont dû croire que...
Séli Que quoi ?
Léodagan Bah je sais pas, euh... qu'on était du genre à faire des trucs ensemble, voilà, ils... ils peuvent pas se douter, hein ?
Séli Qu'est-ce qu'on fait, on y va ?
Léodagan Vous êtes pas dingue ? Pour quoi faire ?
Séli Bah ils ont une proposition, il paraît, non ?
Léodagan Oh oui, non mais ça moi aussi, j'en ai, des propositions... mais je fous pas les pieds à Rome, hein ! Faut pas exagérer !
Séli Mais si c'est une bonne proposition ? Une très bonne ? On va pas la laisser passer sous notre pif !
Léodagan C'est sûr, mais pour savoir si elle est bonne, faut y aller !
Séli Hé bah c'est ça !
Léodagan Ils sont forts... ils sont vraiment forts !
Gauvain (Entre.)
Léodagan Ah bah non ! Pas encore.
Séli Mais... mais quoi, laissez-le, il a peur il a peur !
Léodagan (Agacé.) Oh...
Séli Allez viens.
Gauvain (Se couche entre Léodagan et Séli.)
Léodagan Moi je serais lui, c'est là que j'aurais peur... (À Gauvain.) Mmh ? (Rit.)
Ferme de Pellinor, jour. Merlin discute avec Pellinor dans la cour de la ferme, Acheflour les rejoint.
Merlin Donc on va être sur quelque chose de très fédérateur, de très... de très interactif, et... c'est pour ça qu'on vous propose une quête.
Pellinor Une quoi ?
Merlin Une quête... qui prouverait votre noblesse et votre courage au nouveau roi. Mais c'est pas obligatoire, hein ! Si ça vous intéresse pas...
Pellinor Ah non mais moi j'ai envie de dire, euh... euh... dans l'absolu, euh... tout m'intéresse... dans la mesure où je comprends de quoi il s'agit.
Merlin Mais ça fait une demi-heure que je vous l'explique, de quoi il s'agit !
Nonna (Sort de la ferme.) Hé ben j'espère que vous avez encore un peu de temps devant vous ! Parce que si vous comptez lui faire avaler ça en une seule fois...
Acheflour Mère, du respect pour le chef de famille...
Nonna Chef de famille de débiles... (Rentre dans la ferme.)
Pellinor Écoutez, alors dans la mesure où on... on pourrait faire affaire, est-ce qu'il est possible de payer en deux fois ?
Merlin De quoi ?
Pellinor Ah non, oui, y a... y a rien à acheter... ouais...
Merlin « À acheter », mais qu'est-ce que vous me chantez ?
Nonna (Sort de la ferme.) Oh, ça y est ! Il commence à piger, le Cro-Magnon ! (Rentre dans la ferme.)
Acheflour Et si nous refusons ?
Merlin Bah vous refusez, qu'est-ce que ça peut foutre ? Je vous dis que vous faites comme vous voulez !
Pellinor Ah oui, alors est-ce que ça reste ouvert ? Est-ce que c'est ouvert, est-ce que c'est ouvert pour, euh... pour tous ? C'est-à-dire, ceux qui n'ont pas... inventé le gouvernail, est-ce qu'ils peuvent quand même faire leur enquête ?
Merlin Leur quête.
Pellinor Leur quoi ?
Merlin Leur quête !
Pellinor (Réfléchit.) Bon, alors, euh... vous, de votre côté, vous faites euh... votre euh... comme vous dites, là... et moi je préfère faire une enquête. On marche comme ça ?
Nonna (Hors-champ, de la ferme.) Ah non ! Je prends la peine de vous faire des beignets !
Perceval (Sort de la ferme.)
Nonna (Suivant Perceval.) La moindre des choses, c'est de rester à table pour les manger !
Perceval (À Merlin.) Moi je le fais, ça ! Je pars à l'aventure !
(Noir.)
(Une chèvre bêle.)
(Stab final.)
(Fermeture.)