Les Endettés

Livre IV – épisode 96

Couloir du château, jour. Perceval frappe à la porte de Karadoc.
Karadoc (Ouvre sa porte.)
Perceval Ah, bah tiens ! Je me disais « Il va pas être là. »
Karadoc Moi pareil ! Je me suis dit « Mince, qui c'est qui frappe ? »
Perceval Non c'était moi. Parce que moi c'est pareil, je savais pas où vous étiez, alors je me suis dit, euh... « Il va être là ou il va pas être là ? » C'est pour ça, je suis venu taper.
Karadoc Bon, qu'est-ce qu'on fait, on se met au boulot ?
Perceval Allez. On se met où ? Dans votre chambre ?
Karadoc Ah... travailler dans sa chambre, euh... il paraît que c'est pas sain.
Perceval Ouais. Et la salle d'armes, y a Arthur qui s'entraîne.
Karadoc La salle à manger, les larbins sont encore après débarrasser le midi...
Perceval La Table ronde, ils vont pas nous l'ouvrir... non, c'est malheureux hein... y a pas cinquante solutions... la taverne !
Karadoc (En même temps que Perceval.) La taverne ! (Hausse les épaules.) Bon.
(Ouverture.)
Devant la taverne, jour. Perceval et Karadoc marchent.
Perceval Non et puis au château, on connaît trop de gens... on est sans cesse sollicités, on peut pas se concentrer.
Karadoc Hé, « Seigneur Perceval » par-ci, « Seigneur Karadoc » par-là... à croire que quand on est pas là, y a plus rien qui tourne !
Perceval Remarquez, c'est un peu vrai aussi.
Karadoc Non, quand y a pas d'imprévus, dans l'ensemble, ils s'en sortent.
Perceval Voilà. Mais dès que y a une tuile, ils sont pas foutus de régler le truc sans nous.
Karadoc Ah, ça...
Le tavernier (Barrant l'accès à la taverne, armé d'une fourche.) Stop !
Karadoc Bah qu'est-ce qui se passe ?
Le tavernier Il se passe que vous pouvez pas rentrer.
Perceval Vous êtes inondé ?
Le tavernier Euh... disons que j'ai des fuites. Des fuites de pognon !
Karadoc On vous vole du pognon ?
Le tavernier Disons qu'on m'en doit. ça revient au même...
Perceval Mais... du coup, vous fermez la boutique ?
Le tavernier Je la ferme pour ceux qui me doivent le plus. Parce que figurez-vous que hier c'était jour des comptes. Hé ben vous me croirez ou vous me croirez pas, mais si on cumule ce que vous me devez depuis que vous fréquentez l'établissement, on arrive à une somme supérieure au prix de l'établissement sus-ci-nommé. Attention, en plus des murs, euh... je compte les stocks et le terrain !
Karadoc Mais... vous êtes sûr de votre coup, là ?
Perceval Mais vous avez peut-être fait une erreur, là...
Le tavernier Y a pas d'erreur possible. (Inflexible.) Vous ne foutrez plus les pieds chez moi, tant que vous n'aurez pas remboursé toutes vos dettes. Jusqu'au dernier rond... attention, hein ! Je vous préviens, je serai inflexible !
Perceval C'est pas faux !
Karadoc Mais... vous pouvez pas faire ça, y a crime !
Perceval Vous allez quand même nous laisser rentrer, allez, quoi...
Le tavernier Ah, mais vous pourrez rentrer tant que vous voudrez... quand vous aurez casquécasquer (v.) Payer
En savoir plus
 ! En attendant, ah bah vous buvez de l'eau, vous allez entamer une ardoise chez la concurrence, moi, pfuit ! Je ferme les robinets.
Karadoc Mais c'est complètement con, on sait même pas combien on vous doit !
Le tavernier Ah bah justement, je vous y ai marqué en gros, (sort un petit papier) là-dessus, pour que vous ayez une idée du préjudice.
Perceval (Prend le papier.) Ouais, c'est pas faux.
Le tavernier Bon ! Hé bah maintenant, vous vous tirez, vous reviendrez quand vous aurez trouvé une carriole pour y entreposer tout le fric que vous me devez. C'est clair ? Allez, ouste ! (Part, puis se retourne.) Pourtant je vous aimais bien...
Salle du trône, jour. Arthur est assis sur son trône, Bohort est assis à côté de lui. Devant eux se tiennent Perceval et Karadoc.
Arthur Hé ben je peux vous dire que vous manquez pas de cran... venir me demander à moi de rembourser vos dettes de bistrot !
Bohort J'ose espérer que si le roi accède à votre requête, cet épisode honteux vous serve de leçon !
Karadoc Bah évidemment...
Perceval Maintenant, on va faire attention...
Arthur Oui... parce que figurez-vous que je serai pas toujours là pour éponger les conneries ! Ha ça, non mais sans ça c'est trop facile, c'est vrai ! C'est... (Regardant le petit parchemin sur lequel figure le montant de la dette de Perceval et Karadoc.) Qu'est-ce que c'est, ça, qu'est-ce que... je sais même pas ce que je lis là, c'est quoi, ça ?
Perceval Bah... ça c'est la somme qu'on doit, il paraît.
Arthur (Regarde le parchemin puis relève la tête, hébété, et crie.) Combien ?
(Perceval et Karadoc se regardent, penauds.)
(Fermeture.)
Devant la taverne, jour. Perceval et Karadoc mettent de l'ordre et empilent des tonneaux.
Karadoc (Rangeant un tonneau.) Ah ! Hé ! Attendez, il dit « cinq ans », je suis sûr que si on met un bon coup de collier« mettre un coup de collier » (loc.) Fournir un effort pour mener à bien une tâche
En savoir plus
, on peut lui rembourser le tout en quatre. Peut-être même en trois !
Perceval En plus, je vois pas ce qu'il y a de mal à faire un peu de travail manuel !
Karadoc Mais ouais ! C'est un métier de contact, on apprend plein de choses...
Perceval Hé, c'est quoi qu'on doit faire après ? Laver par terre ?
Karadoc Ah non, faut faire les chambres d'abord.
Perceval Ah ouais c'est classe ! Comme ça je vais apprendre à faire les lits ! Après je pourrai faire le mien tout seul.
Karadoc Hé, ça me fait penser qu'il faut que j'aille saler les fromages à la cave.
Perceval (Rayonnant.) Hé, sans déconner ! On est les rois là ou pas ?
(Noir.)
Karadoc Vous croyez qu'un jour il me laissera m'occuper du comptoir ?
(Stab final.)