Le Poème

Livre II – épisode 75

Chambre d'Arthur, soir. Arthur et Guenièvre sont au lit, Arthur dort et Guenièvre lit un parchemin en parlant toute seule.
Guenièvre (Secoue Arthur.) Hé... (Secoue Arthur plus fort.) Hé !
Arthur (Se réveille en sursaut, confus.) Hein ? Où c'est qu'il est caché ? Quoi ?
Guenièvre Vous dormez ?
Arthur Mais évidemment que je dors ! Je joue pas aux fléchettes !
Guenièvre Vous pouvez me rendre un service ?
Arthur Non !
(Ouverture.)
Chambre d'Arthur, soir. Arthur et Guenièvre sont au lit. Guenièvre lit un parchemin.
Guenièvre Je dois réciter ce poème demain à la fête des fleurs !
Arthur Qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse ?
Guenièvre Mais j'arrive pas à le retenir !
Arthur Si vous arrivez pas à retenir un poème, pourquoi est-ce que vous en récitez un demain ?
Guenièvre Ben je croyais que ce serait plus facile, c'est sur la nature...
Arthur Ah parce que quand c'est sur la nature, c'est plus facile ?
Guenièvre Bah finalement non.
Arthur Bon hé ben voilà. Vous chanterez une chanson et c'est marre« c'est marre » (loc.) Locution signifiant “ça suffit”, “c’est réglé”
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. Laissez-moi dormir.
Guenièvre Oh vous pouvez bien me donner un coup de main !
Arthur Je suis crevécrevé (adj.) Extrêmement fatigué
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, je me lève tôt, j'ai autre chose à foutre que de réciter des poèmes jusqu'à deux heures du matin !
Guenièvre (Criant.) Je vous demande jamais rien !
Arthur Hé ben voilà, continuez comme ça !
Guenièvre Si demain je suis ridicule, ce sera de votre faute hein !
Arthur Oui bah ça fera pour toutes les fois où vous êtes ridicule et que j'y suis pour rien.
Guenièvre Oh, écoutez je vous demande pas grand-chose, je vous demande une heure !
Arthur Une heure ?
Guenièvre Une petite heure...
Arthur (Soupire.)
Chambre d'Arthur, soir. Arthur et Guenièvre sont au lit. Arthur lit un parchemin.
Guenièvre (Déclamant.) « Le vent... pareil à l'enfance... se joue de l'arbre moqueur... »
Arthur (Soupire bruyamment.)
Guenièvre Quoi, c'est pas ça ?
Arthur Si, si si...
Guenièvre Bah alors ?
Arthur Bah alors quoi ?
Guenièvre Pourquoi vous soupirez ?
Arthur Non mais c'est rien c'est le poème, ça...
Guenièvre Le poème ? Qu'est-ce qu'il a le poème ?
Arthur Il est zérozéro (adj.) Sans valeur, nul, minable
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, voilà ce qu'il a !
Guenièvre Non mais vous êtes gonflé, hein !
Arthur Non mais c'est bon là, j'en ai rien à foutre, enquillez, j'ai pas envie qu'on y passe la nuit. Allez !
Guenièvre On peut savoir ce que Sire Arthur de Bretagne trouve à redire quant au choix du poème que je dois réciter demain et qui m'a pris un temps fou ?
Arthur Ça vous a pris un temps fou de choisir ça ?
Guenièvre Parfaitement !
Arthur (Ricane.) Bah ma cousine...
Guenièvre Mais je vous en prie, éclairez-moi de vos lumières, puisque vous êtes soudainement devenu un expert en beau langage...
Arthur Oh bah y a pas besoin de devenir un expert, s'il vous plaît... « Le vent pareil à l'enfance se joue de l'arbre moqueur » ?
Guenièvre Ben oui, hé ben ?
Arthur Ben c'est nul. Nul, nul, nul, zérozéro (adj.) Sans valeur, nul, minable
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. « L'arbre moqueur » déjà, ils peuvent pas s'empêcher de foutre des épithètes à tout ce qui bouge, ces poètes. Même à ce qui bouge pas ! « La fleur goguenarde »... « l'abeille malicieuse »... « le roseau pliable »... « l'ourson rabat-joie »... et même des fois ils le mettent avant le mot, comme ça ça fait genre. « Le gai souriceau », « le prompt madrigal », « la frisottée moustache »... (Lève les yeux au ciel et soupire.)
Chambre d'Arthur, soir. Arthur et Guenièvre sont au lit.
Guenièvre Je trouve révoltant de votre part de mettre systématiquement tout en œuvre pour me décourager !
Arthur Mais enfin vous allez quand même pas dire que c'est pas des conneries ? Est-ce que je vous dis moi « Passez-moi la blanche sauce » ? Non ! Est-ce que je vous dis « Tiens c'est bon ça, qu'est-ce qu'il y a dedans, de la hachée viande et des secs raisins » ?
Guenièvre Mais vous ne comprenez rien à rien ! C'est une licence poétique !
Arthur Non ! Non, non, non, je suis désolé, y a trop de clampins qui se disent poètes, qui sortent la licence poétique dès qu'ils pondent trois merdes que personne comprend !
Guenièvre Ah, mais je suis désolée, moi je comprends !
Arthur Mais non.
Guenièvre Enfin en tout cas, ça me dérange pas.
Arthur Ça vous dérange pas ?
Guenièvre Vous avez peut-être mieux à proposer ?
Arthur (Après un instant.) « Au printemps, le sommeil ne cesse dès l'aurore. Partout se font ouïr les gazouillis d'oiseaux. La nuit s'achève enfin dans le souffle des eaux. Qui sait combien de fleurs seront tombées encore ? »
Guenièvre (Reste muette.)
Arthur Ah bah oui, là oui, là bien sûr, c'est sûr c'est du chinetoquechinetoque (n.m.) Chinois (langue)
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hein, les mecs ils se raclent un peu la soupière avant de sortir n'importe quelle connerie. (Soupire et se recouche.)
(Fermeture.)
Chambre d'Arthur, soir. Arthur et Guenièvre sont au lit.
Guenièvre (Déclamant.) « Qui sait combien de fleurs seront tombées encore ? »
Arthur (Blasé.) Voilà. Bon allez, c'est bon, on peut dormir maintenant ?
Guenièvre Je peux vous poser une question ?
Arthur Quoi ?
Guenièvre Qu'est-ce que ça veut dire, « La nuit s'achève enfin dans le souffle des eaux » ?
Arthur (Soupire.)
(Noir.)
Arthur C'est une licence poétique.
(Stab final.)